La réflexion : un outil de développement du leadership des résidents

Nous remercions particulièrement le Dr Nabil Sultan, FRCPC, M.Ed., pour avoir développé cette ressource.

La pratique réflexive

Certaines expériences courantes en éducation médicale peuvent souvent s’avérer démoralisantes, voire même traumatisantes, et apporter très peu de matière à développement. Pensons, par exemple, à un ou une stagiaire qui fait l’objet d’une plainte de la part d’un membre du personnel infirmier, ou de critiques de la part d’un médecin membre du personnel. La réflexion est un outil ayant le potentiel de faire de ces expériences et d’autres types d’expériences de véritables catalyseurs de croissance personnelle. La pratique réflexive consiste à explorer et à analyser ses expériences et à apprendre de celles-ci, en pratique, à la lumière d’un contexte en particulier, en vue d’arriver à une nouvelle compréhension ou appréciation des choses ou à une nouvelle prise de conscience. La réflexion facilite l’intégration des connaissances actuelles et nouvelles. C’est un processus par lequel une personne se livre à une analyse critique de ses connaissances et de son expérience dans le but de comprendre ses lacunes et pouvoir ainsi développer et maintenir ses compétences tout au long de sa vie.

La réflexion permet aux apprenants d’explorer leurs propres croyances et valeurs et la façon dont elles concordent ou contrastent avec la culture qui les entoure; ce processus est essentiel à la formation de l’identité. Un stagiaire qui se connaît soi-même, qui, par exemple, remarque avoir menti au personnel traitant à propos d’une interaction avec un patient, ira au-delà du sentiment de culpabilité et de déception et creusera pour comprendre ce qui a mené à ces circonstances et ce qui, dans son approche, ses valeurs, sa personnalité ou son manque de connaissances ou de compétences, a augmenté les chances qu’une telle interaction se produise. Il se penchera également sur les valeurs et la culture du milieu de travail qui ont créé le contexte de l’expérience.

Le « praticien réflexif », terme introduit par Schon1 en 1983, est un professionnel qui fait appel à la réflexion pour faire de ses expériences en milieu de travail des occasions d’apprentissage et mieux comprendre les problèmes complexes de la pratique professionnelle. Les apprenants sont plus à même de comprendre les conséquences qu’ont leurs actions et expériences sur eux-mêmes et sur les autres, et participent ainsi à la cocréation de sens dans les communautés de pratique.

De nombreux modèles de réflexion existent. La plupart d’entre eux partagent l’idée que la réflexion est activée par la réalisation d’un besoin ou d’un bouleversement dans la pratique. La réflexion permet de tirer de ces expériences des apprentissages qui pourront être intégrés aux situations futures et aux connaissances actuelles.

Mann et coll.2 parlent de deux dimensions importantes des différents modèles de réflexion (voir tableau 1). La première est la dimension itérative, c’est-à-dire que l’expérience aboutit à une nouvelle prise de conscience qui, à son tour, entraîne de nouveaux comportements face aux expériences futures. Parmi les modèles qui décrivent ce processus itératif, on retrouve ceux de Boud, Keogh, Walker et Schon. La deuxième est une dimension verticale décrite, par exemple, dans les modèles de Dewey, Hatton et Smith, Mezirow et Moon, et qui caractérise différents niveaux de réflexion sur une expérience, où plus la réflexion est profonde, plus elle demande un niveau élevé d’analyse et de synthèse critique2.

Table 1
Models of reflection and reflective practice describing (a) an iterative process; (b) vertical dimensions
Author Process of reflection (Iterative)
(a) An iterative process Schön (1983, 1987) 1. Knowing-in-action, 2. Surprise, 3. Reflection-in-action, 4. Experimentation, 5. Reflection-on-action
Boud et al. (1985) 1. Returning to experience, 2. Attending to feelings, 3. Reevaluation of experience, 4. Outcome/Resolution
Author Levels of reflection (Vertical)
(b) Vertical dimensions  
Dewey (1933) 1. Content and process reflection, 2. Premise reflection/critical reflection
Mezirow (1991) 1. Habitual action, 2. Thoughtful action/Understanding, 3. Reflection, 4. Critical reflection
Boud et al. (1985) 1. Association, 2. Integration, 3. Validation 4. Appropriation
Hatton and Smith (1995) 1. Description, 2. Descriptive reflection, 3. Dialogic reflection, 4. Critical reflection
Moon (1999) 1. Noticing, 2. Making sense, 3. Making meaning, 4. Working with meaning, 5. Transformative learning
Tableau 1 – Adapté de Mann et coll.2

L’approche de Boud et coll.3 sur la réflexion intègre à la fois la dimension itérative et la dimension verticale (figure 1). Le modèle met l’accent sur la nature émotionnelle du processus d’apprentissage à partir d’une expérience et permet à l’apprenant de réfléchir à l’expérience et d’y retourner. Il l’encourage à adopter de nouvelles perspectives sur l’expérience et à se préparer à les mettre en pratique dans des expériences futures. Les stagiaires peuvent apprendre et utiliser ce modèle pour réfléchir à leurs expériences quotidiennes en pratique clinique3.

Figure 1: Le cycle de réflexion de David Boud

Figure 1 – Le cycle de réflexion de David Boud3

Dans la dimension verticale de la réflexion, le résident malhonnête pris en exemple un peu plus tôt pourrait d’abord se pencher sur sa culpabilité et sa déception et entrevoir que ces sentiments viennent du fait qu’il a agi à l’encontre de valeurs qu’il tient profondément à cœur, telles que l’honnêteté et l’intégrité. Il pourrait revenir sur l’expérience et analyser les pressions qu’il a ressenties à ce moment. Ce pourrait être la présence d’un résident senior difficile et condescendant, ou bien le fait d’avoir vu une autre résidente se faire vertement critiquer devant le reste du groupe la semaine précédente. Il pourrait repenser à la fatigue émotionnelle ayant mené à l’important oubli pendant la rencontre avec le patient, ce qui lui a fait honte et l’a poussé à vouloir cacher son erreur.

Dans la dimension itérative de la réflexion, le résident considérerait ses propres valeurs et normes de comportement à la lumière de l’expérience et s’engagerait à adopter un nouveau comportement à l’avenir. Il se demanderait comment développer le courage d’intervenir lorsque des personnes se font cruellement malmener. Il envisagerait de reprendre certaines habitudes saines, telles que faire de l’exercice ou passer du temps avec la famille et les amis, pour combattre le stress chronique ayant mené à certaines de ses fautes. Il se préparera mentalement à réagir différemment lors d’une prochaine rencontre similaire.

La réflexion : un moyen de former son caractère et son leadership

La réflexion est également fondamentale pour la formation du caractère et du leadership et se trouve au cœur du processus de transformation des expériences en apprentissages, compréhensions et prises de conscience4. L’enseignement de la pratique réflexive aux apprenants et aux éducateurs aidera les deux groupes à développer leur sens du leadership. La réflexion est particulièrement importante pour le développement du leadership parce que la formation du caractère, nécessaire au bon leadership, repose en grande partie sur l’exercice d’une pratique réflexive efficace. Crossan et coll.5 proposent le modèle de réflexion sur le caractère suivant :

Figure 2 : Cadre de réflexion sur le caractère d’une personne de Crossan et coll.

Figure 2 – Cadre de réflexion sur le caractère d’une personne de Crossan et coll.5

Le cadre de réflexion sur le caractère ci-dessus sert à aider une personne à réfléchir à ses propres traits de caractère et valeurs. Les personnes apprennent à se poser de multiples questions lorsqu’elles font face à des « pressions situationnelles » au travail (ou dans leur vie personnelle) auxquelles leur caractère les rend vulnérables. Dans le cadre du processus de développement du caractère, les personnes apprennent à reconnaître quel est le trait de caractère le plus utile dans une situation donnée et à cultiver ce trait de manière équilibrée, dans une optique vertueuse aristotélicienne. Chaque étape de ce processus de formation du caractère exige une réflexion itérative et verticale.

La réflexion critique et la réflexivité

En pratiquant la réflexion critique et la réflexivité, on étend la pratique réflexive décrite ci-dessus pour y inclure la reconnaissance, l’exploration et la remise en question des idées préconçues, des croyances, des partis-pris, des stéréotypes, des dynamiques de pouvoir ainsi que des barrières contextuelles, institutionnelles et systémiques qui l’influencent. L’une des définitions de la réflexivité s’articule autour de l’idée de « reconnaître sa propre position dans le monde afin de mieux comprendre les limites de ses propres connaissances et mieux saisir la réalité sociale des autres6 ». Cela veut dire qu’une personne doit reconnaître sa position de privilège dans la société, par exemple, par rapport à son genre, son niveau d’éducation, son statut socio-économique, sa profession, son lieu de naissance, sa famille et son cercle social.

L’exercice de la réflexion critique et de la réflexivité permet aux apprenants d’élargir la perception qu’ils ont des situations dans leur pratique et d’eux-mêmes; c’est une façon d’inspirer une manière d’être où l’on remet continuellement en question ses propres idées préconçues et ses propres façons d’être, de voir et de penser. Mann et coll. proposent les quatre principes de base de l’esprit critique7 :

  1. Remuer l’habituel
  2. Examiner différents points de vue
  3. Se concentrer sur les enjeux sociopolitiques
  4. Agir et mettre l’accent sur la justice sociale

L’intégration de l’approche réflexive en formation médicale postdoctorale

La réflexion sur soi comme outil de développement du leadership n’est pas facile à intégrer dans les programmes de résidence chargés. Plusieurs facteurs sont en cause : le manque de temps et l’environnement sous pression; un corps professoral qui manque d’expérience, de connaissances pratiques et de soutien pour ce faire; et l’absence d’une culture favorisant une telle démarche. La formation de praticiens expérimentés est essentielle pour appuyer les stagiaires dans leur réflexion et les aider à tirer un sens de leurs expériences et à tirer des liens avec leur cheminement en tant que leader en devenir. Toute intervention d’apprentissage qui incorpore la réflexion doit donc idéalement mobiliser des membres du corps professoral qui sont à l’aise et expérimentés en la matière ou qui sont prêts à se développer eux-mêmes dans cet espace. Les stagiaires doivent également avoir l’occasion d’interagir avec ces membres du corps professoral.

Ci-dessous se trouve un exemple de la façon dont on peut mettre en place un programme d’autoréflexion offrant du mentorat et de la rétroaction aux résidents, et ce, dans un programme postdoctoral où le corps professoral manque d’expertise dans le domaine de la réflexion et où la culture n’encourage pas la réflexion. Cet exemple peut être modifié pour répondre à différents besoins et contextes :

Évaluation des interventions d’apprentissage axées sur la réflexion

Les éducateurs qui souhaitent mettre en place un apprentissage axé sur la réflexion au sein de leur programme ont de la difficulté à concevoir la méthode d’évaluation. Étant donné la nature personnelle et formatrice de la réflexion, il peut être difficile d’établir des méthodes d’évaluation appropriées et efficaces. Par ailleurs, puisqu’on évalue la réflexion sous forme écrite ou verbale, il est possible que les allophones ou les apprenants qui ne connaissent pas bien les attentes langagières propres au contexte exercent bien leur réflexion, mais ne la décrivent pas de manière efficace ou conventionnelle.

Voici quelques questions à envisager au moment d’élaborer une stratégie d’évaluation de la réflexion :

Voici deux modèles d’évaluation des interventions axées sur la réflexion que les éducateurs peuvent utiliser pour l’élaboration de leur intervention d’apprentissage ou programme axé sur la réflexion :

  1. Hatton et Smith7

    Le modèle de Hatton et Smith décrit quatre niveaux progressifs de réflexion, chaque niveau supérieur indiquant un processus de réflexion plus poussé ou efficace.

    1. Description : il ne s’agit pas d’une réflexion, mais d’une simple description des événements qui se sont produits, sans réelle tentative d’en expliquer le pourquoi.
    2. Réflexion descriptive : une description qui inclut des raisons, mais ne fait que les rapporter.
    3. Réflexion dialogique : une réflexion sous forme de dialogue interne dans lequel la personne remet les choses en question, soupèse différents scénarios, etc. Ce genre de réflexion comprend des énoncés du type « je me demande si… », « qu’est-ce qui se serait passé si… », « peut-être que… »
    4. Réflexion critique : une réflexion où la personne tient compte du contexte de l’événement, remet en question ses idées préconçues, envisage différentes options, réfléchit aux conséquences de ses décisions ou actions sur les autres et fait preuve de scepticisme réflexif.

    À l’aide du cadre ci-dessus, les éducateurs évaluent le niveau de réflexion atteint dans le travail et offrent à leurs étudiants des commentaires ou des conseils pour les aider à approfondir leur réflexion et l’ancrer encore davantage dans le monde qui les entoure.

  2. Ash et Clayton8

    Le modèle de Ash et Clayton décrit un processus guidé pour la facilitation et l’évaluation de la réflexion. Ces chercheuses se concentrent spécifiquement sur l’apprentissage en contexte de service, mais leur modèle peut être appliqué à d’autres types d’expériences d’apprentissage. Dans ce modèle, les étudiants suivent les étapes suivantes :

    1. Décrire l’expérience
    2. Analyser l’expérience sous différentes perspectives en fonction de l’objectif d’apprentissage :
      1. Personnelle
      2. Académique
      3. Communautaire
    3. Cerner les apprentissages dans chaque catégorie
    4. Décrire les apprentissages dans un énoncé bien détaillé de l’apprentissage en se servant de quatre questions directrices :
      1. Qu’ai-je appris?
      2. Comment, précisément, ai-je fait cet apprentissage?
      3. Pourquoi cet apprentissage est-il important ou significatif?
      4. De quelles façons vais-je utiliser cet apprentissage?
    5. Analyser/réviser l’énoncé d’apprentissage en appliquant les normes de la pensée critique et en utilisant :
      1. L’autoévaluation de l’étudiant
      2. Les commentaires de l’instructeur
    6. Finaliser l’énoncé d’apprentissage en visant à remplir tous les objectifs d’apprentissage dans chaque catégorie et à répondre aux normes de la pensée critique
    7. Entreprendre de nouvelles expériences d’apprentissage, notamment en donnant suite aux énoncés d’apprentissage afin de vérifier les premières conclusions obtenues, si possible
    8. Poursuivre le processus de réflexion en poussant la complexité de l’analyse dans les futurs énoncés d’apprentissage, si possible

    Ash et Clayton recommandent aux instructeurs plusieurs façons d’utiliser leur modèle pour évaluer la réflexion de leurs étudiants. L’une des façons est d’utiliser une grille dans laquelle on retrouve le plus haut niveau de réussite associé à chaque catégorie de pensée critique utilisée pour évaluer les énoncés d’apprentissage.

    Le niveau 4 (dernier niveau) répond à la plupart ou la totalité des éléments suivants :

    Élément Description
    Mécanismes Ne fait jamais de fautes typographiques, d’orthographe ou de grammaire
    Rapport à l’expérience Montre clairement le ou les liens entre l’expérience et la dimension abordée
    Exactitude Présente des faits qui sont exacts et appuyés par la science; dans le cadre de ses énoncés d’apprentissage, identifie, décrit et utilise avec exactitude les principes académiques appropriés
    Clarté Approfondit toujours ses idées et les exprime de différentes manières; fournit des exemples/illustrations
    Pertinence Décrit des apprentissages qui correspondent bien à la catégorie de l’énoncé d’apprentissage et veille à garder la discussion dans les limites de l’apprentissage dont il est question
    Profondeur Aborde la complexité du problème; répond à d’importantes questions soulevées; évite de trop simplifier les choses dans les liens établis
    Ouverture Accorde une attention significative à d’autres points de vue et interprétations possibles
    Logique Fait preuve d’un raisonnement logique menant à des conclusions ou des buts évidents
    Portée Tire des conclusions et fixe des objectifs qui répondent aux principaux enjeux soulevés par l’expérience
    Tableau 2 – Adapté de Ash et Clayton8

Références

  1. Schon, D. The Reflective Practitioner: How Professionals Think in Action. s.l. : Taylor and Francis, 1983.
  2. Mann K, Gordon J, MacLeod A. Reflection and reflective practice in health professions education: a systematic review. Adv Health Sci Educ Theory Pract. 2009;14(4):595-621. doi:10.1007/s10459-007-9090-2
  3. Boud, D., Keogh, R., Walker, D. Promoting Reflection in Learning: a Model. Reflection: Turning Experience Into Learning. Abingdon : Routledge, 1985.
  4. Epstein RM, Hundert EM. Defining and assessing professional competence. JAMA. 2002;287(2):226-235. doi:10.1001/jama.287.2.226
  5. Crossan M., Mazutis D., Seijts G., and Gandz J, 2013: Developing Leadership Character in Business Programs. AMLE, 12, 285–305, https://doi.org/10.5465/amle.2011.0024a.
  6. Ng SL, Wright SR, Kuper A. The Divergence and Convergence of Critical Reflection and Critical Reflexivity: Implications for Health Professions Education. Acad Med. 2019;94(8):1122-1128. doi:10.1097/ACM.0000000000002724
  7. Hatton, N. and Smith, D. (1995) Reflection in Teacher Education: Towards Definition and Implementation. Teaching and Teacher Education, 11, 33-49. https://doi.org/10.1016/0742-051X(94)00012-U
  8. Ash, S.L., & Clayton, P.H. (2004). The Articulated Learning: An Approach to Guided Reflection and Assessment. Innovative Higher Education, 29, 137-154.